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écriture

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consacré à la création de récits, de tous les genres, pour tous les media.

ECRIRE COMME TOLKIEN
LA COMMUNAUTE DE L'ANNEAU

par David Sicé.

***

Ecrire comme... est une série d'articles
dans laquelle nous vous proposons de découvrir les outils de l'inspiration
jusqu'à la rédaction finale. Nous partirons à chaque fois d'un récit existant,
pour arriver à un nouveau récit créé à partir des mêmes outils.

Bonne lecture et bonne écriture.

Une version plus courte de cet article est paru
le fanzine AOC 4 en 2007, dont je remercie toute l'équipe.
 

*0*

John Ronald Reuel Tolkien est l'un des maîtres de la Fantasy.
Créateur du monde de la Terre du Milieu, il a considérablement inspiré
celui du jeu de rôles Donjons & Dragons , et ainsi que la majorité des romans
« avec un dragon dessus ». Il est également l'auteur d'un grand nombre de récits épiques,
souvent inachevés — mais agglomérés pour la plupart à ses deux principaux romans :
Bilbo le Hobbit
et Le Seigneur des Anneaux .


Tolkien s'est largement inspiré des anciennes sagas nordiques.
Mais il les a dépassées en créant un nouvel univers de toutes pièces,
à partir de ses langages. Ces techniques peuvent cependant s'utiliser
pour créer tous les types de récits, y compris les plus réalistes.


*1*

TECHNIQUE 01 : S'INSPIRER DES MYTHES
ET LEGENDES (LA PECHE)




Dans un premier temps, lisez le mythe, la légende, le conte en question
tout en partant à LA PECHE : Divisez une feuille à part en trois colonnes
(DECORS, HEROS, ACTIONS), et répartissez au fur et à mesure les éléments de l'histoire.
Utilisez si besoin plusieurs légendes.

Pour sa part, Tolkien a avoué avoir été très impressionné
par L'histoire de Sigurd et du dragon Fafnir , paru alors dans
The Red Fairy Book d'Andrew Lang, d'après La Saga des Volsung .
Jouons donc à la pêche à partir de ce récit dont voici le premier paragraphe
traduit par mes soins :

 

Il était une fois un Roi du Nord
qui avait gagné bien des guerres,
mais qui à présent était âgé.

Malgré cela, il prit une nouvelle femme,
et alors un autre prince, qui voulait épouser celle-ci,
leva contre lui une grande armée.

Le vieux roi s'en vint et combattit bravement,
mais à la fin son épée se brisa,
et il fut blessé, et ses gens s'enfuirent.

Mais dans la nuit, alors que la bataille s'était achevée,
sa jeune épouse s'en vint et le chercha
au milieu des tués, et enfin elle le trouva,
et lui demanda s'il pouvait être guéri.

Mais il répondit : « Non », sa chance était partie,
son épée était brisée, et il devait mourir.
Et il lui dit qu'elle aurait un fils,
et que ce fils deviendrait un grand guerrier,
et qu'il le vengerait de l'autre Roi, son ennemi.

Et il lui fit promettre de garder
les morceaux de l'épée brisée,
afin qu'une nouvelle puisse être forgée,
et cette épée devrait être appelée Gram.

 


L'intégralité du texte en anglais se trouve ici.


L'intégralité du texte en français se trouve ici.



Voici le résultat de ma pêche personnelle des idées, limitée à ce premier paragraphe.

DECORS / OBJETS

HEROS / PERSONNAGES

ACTIONS / EVENEMENTS

Royaume du nord
L'épée brisée du roi
Le champ de bataille
L'épée reforgée Gram

Roi du Nord âgé
La jeune reine
Le prince rival = l'autre Roi
Le fils (Sigurd) vengeur

Le mariage, Le prince jaloux
La bataille
Le roi blessé et l'épée brisée
La quête de la jeune reine
La promesse de venger
et de reforger l'épée



Notez que dans l'histoire de Sigurd, on retrouve les idées de l'épée brisée d'Aragorn,
de l'Anneau maudit, du Dragon rouge de Bilbo le Hobbit, un complot digne de Grima langue de vipère
et même d'un possible Gandalf. Remarquez aussi que ce conte est à l'évidence lui-même
le résultat d'une pêche à travers les légendes plus anciennes de l'époque.

 

Attention :
« Nous devenons ce que nous mangeons ».

C'est encore plus vrai des récits que nous créons en nous inspirant d'autres récits.
Donc, si vous voulez créer des récits vigoureux et originaux,
puisez aux sources de l'inspiration (les récits les plus anciens
ou ceux qu'on raconte à côté de chez vous) plutôt que dans le rayon surgelé et allégé.
Ajoutez à votre pêche les idées qui vous viennent, et changez tout ce qui ne vous plaît pas.

 

*2*

TECHNIQUE 02 : PUISER
DANS LES SENSATIONS FORTES DE VOTRE VIE



Dans son excellente biographie de Tolkien, Humphrey Carpenter
décrit quantités de paysages, d'évènements, et d'émotions vécues par l'écrivain
— que l'on retrouve ensuite dans Le Seigneur des Anneaux et Le Hobbit .


Dans cet inventaire, on reconnaît d'une part les sensations immédiates,
comme faire ses premiers pas parmi les grands arbres de l'Afrique du Sud (Mirkwood),
la camaraderie des Inklings — ses meilleurs amis du lycée (Merry & Pippin),
les charniers de la première guerre mondiale (le Mordor, les marécages
jonchés de cadavres de combattants), le charme et la tranquillité de la campagne anglaise,
peu à peu rongés par l'industrialisation (la Comté envahie par Saroumane).

De l'autre on trouve les sensations ressenties face à des récits ou des images,
comme par exemple le poème épique Beowulf et les illustrations d'Arthur Rackham.


De votre côté, sans aller jusqu'à mettre votre vie ou votre santé en danger,
allez au devant de la réalité des choses et des gens que vous souhaitez raconter .
Par exemple, marchez dans la forêt, courez dans les prairies, parlez aux chevaux,
caressez les vieilles pierres si vous voulez raconter l'histoire d'un chevalier
qui retrouve dans la forêt les ruines d'un château : même en haute définition,
la télévision ne suffit pas à rendre ces émotions-là. Et à ces instants,
concentrez-vous sur la réalité et non sur vos pensées, le passé ou le futur.


La technique suivante peut vous y aider, car un geste aussi simple
n'est malheureusement pas toujours évident pour tout le monde
et à chaque instant de notre vie.

*3*

TECHNIQUE 03 : LE CINQ, QUATRE, TROIS, DEUX, UN.


Concentrez-vous sur :

CINQ choses que vous voyez,

QUATRE choses que vous entendez,

TROIS choses que vous touchez,

DEUX choses que vous ressentez (émotions),

UNE chose de bien à propos de vous
ou de ce que vous vivez à présent.


Recommencez autant de fois que vous le voulez,
jusqu'à ce que la moindre sensation de ce qui vous entoure ici
et maintenant occupe votre entière attention.

 

*4*

UN POINT RAPIDE SUR LE LANGAGE

Il existe trois sortes de langages :
l'iconique, l'idéographique et l'alphabétique.


L'iconique représente les idées par des "images",
ou plus exactement, des stimuli (sons, sensations visuelles, sensations tactiles etc.).

Par exemple, on peut évoquer un arbre en montrant l'image d'un arbre,
en faisant entendre le bruissement des feuilles dans le vent,
en amenant votre interlocuteur là où se trouve un arbre et le lui faisant regarder,
en lui faisant toucher son écorce, en lui faisant respirer son odeur,
manger son fruit ou goutter sa sève etc. etc.


*5*

L'idéographique représente les idées par des "schémas" ,
c'est à dire une suite d'images (de stimuli) organisées selon une grammaire,
un ordre de compréhension. C'est le principe des idéogrammes chinois,
mais également du langage des signes des sourds muets.

Par exemple, regardez comment les formes de traits des Kanji japonais
se combinent pour évoquer des notions dérivées les unes des autres :

Note : pour voir les Kanji, il faut activer dans vos préférences
les caractères asiatiques.


signifie le chiffre 1.

signifie le chiffre 2.

signifie le chiffre 3.

signifie la bouche, qui avale ou qui donne.

signifie le soleil, la double bouche,
la grande bouche, le grand donneur, le grand dessécheur.

signifie l'oeil ou le regard
(le soleil, c'est à dire le regard brillant, au-dessus de la bouche).

signifie la lune (le petit soleil qui se promène dans le ciel).

signifie la clarté qui baigne, la lumière qui illumine
(le caractère commun à la lune et au soleil).

一月 signifie le mois de janvier
(le premier mois de l'année, le premier cycle de la lune).

二月 signifie le mois de février
(le second mois de l'année, le second cycle de la lune).

三月 signifie le mois de mars
(le troisième mois de l'année, le troisième cycle de la lune).

*6*

L'alphabétique (ou le syllabique) représente les idées par des séries de sons articulés
(ou des série de gestes ou de signes écrits, comme par exemple une écriture,
le langage dactylologique des sourds-muets, ou encore par d'autres signes,
comme les traits et les points, les 0 et les 1 du numérique),
mais chaque signe isolé ne représentera pas forcément une idée.

C'est le principe de l'alphabet français, des syllabaires Hiragana
et Katakana japonais, du code Morse etc.


*7*

Ces trois sortes de langages sont toujours utilisés simultanément
et chacun peut représenter l'autre.

Par exemple, je peux dire « bonjour » (alphabétique) tout en faisant un sourire (iconique),
ou dire « bonjour » tout en faisant un bras d'honneur, ou encore rajouter un smiley,
un coeur percé, ou une langue tirée hors de lèvres pulpeuses
à côté d'une date du calendrier (idéographique).


*8*

Dans chacun des cas, l'idée derrière chacune de ces phrases sera différente.

Si je surnomme mon camarade « Le grand », j'utilise le mot « grand »
pour évoquer l'image de la grande taille de ce camarade.

Et si je parle de lui en disant « mon poteau », je combine l'image sonore du mot « pote »
avec l'image visuelle et sensorielle du poteau, solide, qui soutient.
Je me sers donc des images véhiculées par mes mots pour construire un schéma,
un idéogramme, de même chaque fois que j'utilise un lieu commun, une métaphore,
ou une expression typique, comme "il pleut des cordes", "c'est un vrai démon".

Si je dis « Il n'y a pas de rose sans épine », j'utilise l'image évoquée
par le mot « rose » (la fleur ») pour représenter le mot « femme »,
qui peut évoquer les sensations que peut offrir une rose.

*9*

  TECHNIQUE 04 : CREER UN ALPHABET

Une méthode très rapide de création d'alphabet consiste à récupérer
un alphabet parlé préexistant qui vous plaît. Prenons par exemple le FUTHARK,
l'alphabet runique viking, qui inspira Tolkien pour son écriture inventée, le Cirth.

Voir aussi :
http://en.wikipedia.org/wiki/Runic_alphabet

La ligne du bas est celle qui nous intéresse : c'est une liste de sons élémentaires qui,
combinés, vont nous donner des mots. Si vous essayez de prononcer un mot français avec,
vous vous rendrez vite compte qu'il va sonner différemment, tout simplement parce que
tous les alphabets ne contiennent pas les mêmes sons articulés.

Par exemple si je veux écrire « Vue », je ne trouve pas le son « V ».
Il faut trouver un autre son pour le remplacer : le B ou le F.
Le « U » comme dans « dur » n'existe pas non plus. C'est un « OU » qui va le remplacer.
Avec ce nouvel alphabet, « Vue » deviendra quelque chose comme « BOU » ou « FOU ».

*10*

TECHNIQUE 05 : CREER UN VOCABULAIRE


Trouvez un dictionnaire et rangez les mots qui vous plaisent
dans les trois catégories suivantes :

GRAMMAIRE (ce qui sert à construire les phrases),
CHOSES (ce qui existe),
IDEES (ce qui n'existe pas).

Attention, si vous allez un peu loin dans cette démarche,
cela peut vraiment vous prendre beaucoup de temps. Comme Tolkien,
limitez-vous plutôt au seul vocabulaire dont vous avez vraiment besoin.


*11*

Tolkien aurait emprunté aux Hittites l'allure des mots imaginaires suivants,
afin de composer la Langue Noire de Mordor.

GRAMMAIRE :

ASH = un ;
—AT = verbe à l'infinitif ;
—UL = eux ;
UUK = tous ;
AGH = et ;
—UM = transforme un adjectif en nom ;
-ISHI = suffixe de localisation.

CHOSES :

NAZG = anneau ;
THRAK = charge ;
BUURZ = obscur ;
KRIMP = lien, chaîne.

IDEES :
DURB = règne ;
GIMB = trouvaille.

Ce lexique permet d'écrire le fragment d'un poème, qui identifiera
la source du pouvoir d'un certain anneau magique trouvé par les héros.


Ash nazg durbatulûk, ash nazg gimbatul,
Ash nazg thrakatulûk, agh burzum-ishi krimpatul.

*12*

De notre côté, fouillons dans un dictionnaire Finnois ,
une langue également chère à Tolkien.

Vous trouverez plein de dictionnaires gratuits sur ce site,
avec une petite application pour les utiliser :

http://www.freelang.com/

Dans ce dictionnaire, nous découvrons qu'une expression française
comme « à cause de » se traduit par quelque chose qui ressemble à TADEN.
Vérifions tout de même si je peux l'articuler avec mon alphabet parlé tiré du FUTHARK…
Oui, ça marche.

Essayons un second mot : « Anneau » : je trouve RINGAS.
Je décide de durcir le G en K, ce qui me donne au final RINKAS.
Tentons maintenant de construire une phrase avec mon langage inventé tiré du finnois :
TADEN RINKAS. Traduction (selon moi) : « La cause (en est) l'Anneau ».

*13*

Amusez-vous. Si vous ne trouvez pas le mot dont vous avez besoin,
utilisez-en un autre à la place qui veut dire autre chose de proche,
ou simplement dont le son vous plaît. Si vous n'êtes pas sûr d'un son, inventez.

Concernant la grammaire, pas besoin d'être un expert. Essayez de faire des phrases,
rajoutez les signes qui vous manque pour dire ce qui vous manque :
c'est du présent, du passé ? Du singulier, du pluriel ? C'est respectueux, insultant ?
Et surtout notez bien les règles que vous retenez, histoire de ne pas vous contredire plus tard.

*14*

TECHNIQUE 06 : CREER UN NOM PROPRE


Tolkien a emprunté des noms de héros de différentes fables et légendes,
en les classant par origine culturelle – le vieux nordique pour les Nains,
le finlandais et le grec pour les Elfes etc. Il n'ignorait cependant rien
de la manière dont les noms sont forgés pour ceux qui les portent.


Penchons-nous sur trois pistes en la matière :

1°) Le nom bénédiction vise à attirer sur la tête de l'enfant une qualité ,
la faveur d'un dieu ou d'une force de la nature (RIK HARD, le roi valeureux ;
ABDUL ALLAH, le serviteur d'Allah – donc protégé par Allah, HELENE, le soleil).
Le nom hommage (nommer l'enfant d'après une célébrité ou un parent) suit la même idée.

***

2°) Le nom de filiation / d'affiliation indique que l'enfant descend d'un parent ,
d'un roi, d'une organisation, d'un clan, d'un dieu - ou de manière plus terre à terre,
de quelqu'un vient de tel endroit, qui avait telle caractéristique physique ou mentale,
ou encore qui exerçait tel métier ou était le fils (la fille) adopté par telle personne.

Par exemple IVANOV = le fils d'IVAN, CHRIST = enfant du Christ.
Attention la filiation n'a pas besoin d'être sexuelle – par exemple
JENNIFER GOUVERNEMENT = Jennifer élevée par et au service du gouvernement).
Il est en effet courant de prendre un nouveau nom quand on change de « famille ».
L'idée est la même avec le nom d'origine physique indique de quel lieu, pays, ethnie
le personnage vient (LE MAURE, MOULIN, DUPONT, D'ARTAGNAN, VAN HELSING).

***

3°) Le surnom évoque une image représentant le héros, son allure, son statut ou ses actes habituels :
CŒUR DE LION, L'AIGLON, PATTE FOLLE. Parmi les surnoms, on rangera aussi
les Noms de guerre, les Noms secrets, et autres pseudonymes ou avatars.
Ce qui nous permet par la même occasion de distinguer les noms donnés
des noms choisis par celui qui les portent.


*15*

Mettez-vous à la place des personnages qui auront à utiliser ces noms.
Même aujourd'hui nous pouvons être appelé par quantité de noms différents
(titre, nom de famille, prénom, surnom, insulte etc.) suivant les circonstances
et les personnes qui nous parlent. C'est aussi vrai pour les héros d'un récit.

Retour au dictionnaire de Finnois : pour la jeune reine, je choisis un nom bénédiction
classique du genre « la blonde » (en fait elle sera brune !). Cela donne VAALEA, qui devient ALEA.
Pour le vieux roi, ce sera un surnom : « le superbe » (VALTAVA), qui devient FALTAFF.
Pour l'empoisonneur, je pars de « rusé », et « fils adultérin du rustre » :
YUKAS KARKALAPSI (LAPSI signifiera « enfant de »). Pour le valeureux chevalier,
je pars de « droit », « fils du bienfaiteur » : OKEN IBAN VALAPSI.
ROK, le nom du chevalier dragon déguisé en humain, sera en revanche
tiré du langage des dragons.


*16*

Les noms de lieux ou de choses peuvent suivre
exactement le même schéma.


Notez cependant qu'une culture ou une autorité peut tenter d'imposer
telle ou telle sorte de nom à telle ou telle sorte de gens, de lieu ou de choses,
par exemple en obligeant les membres de sa communauté à porter le prénom d'un saint
ou d'une sainte, ou encore d'un héros de son histoire, ou encore un numéro de matricule.

Assez logiquement, les seuls noms imposés qui survivront à travers l'usage ou l'histoire
sont ceux qui contiendront aussi les trois pistes déjà citées, sauf si bien entendu,
l'autorité en question parvenait à complètement lobotomiser ses locuteurs.

*17*

TECHNIQUE 07 : CREER UNE ECRITURE

Pour l'écriture, récupérez un alphabet écrit cette fois
– pas forcément le même qui vous a donné votre alphabet parlé .

Et retranscrivez vos mots inventés – en notant bien vos règles de transcription
sur une feuille à part (quel signe pour quel son). Décidez également des sens
dans lesquels vous pourrez écrire : droite à gauche, haut en bas,
en spirale, en hypertexte…

***

Tolkien a imaginé le Tengwar un alphabet écrit elfique bien plus savant
que la majorité des alphabets réels : écrit à la plume ou au pinceau,
chaque caractère mime graphiquement la prononciation du son qu'il représente.
De plus, la même écriture pourra servir à plusieurs alphabets parlés différents
(les « modes ») comme par exemple le Quenya, le Sindarin
ou la Langue Noire de Mordor.



Ce système d'écriture est décrit dans les annexes du Seigneur des Anneaux,
mais vous trouverez facilement sur le net quelques explications en français
sur la construction du Tengwar — notamment ici :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Tengwar

Précisons que les voyelles sont représentées par un accent
sur la consonne suivante (les i sous les accents ne comptent pas)
donc : « ash nazg » (un anneau) s'écrira en langue noire :

*18*

Du côté de ma phrase TADEN RINGAS, la transcription en FUTHARK donne :

e n'étais pas obligé d'utiliser le FUTHARK. Toute autre écriture aurait fait l'affaire
pourvu qu'elle m'inspire et soit utile au récit, ne serait-ce que par son allure graphique.

*19*

TECHNIQUE 08 : LE LANGAGE PRIMORDIAL


Maintenant, si vous n'avez ni alphabet, ni dictionnaire
– ou si vous voulez créer un langage complètement inédit,
ou encore si vos héros ne sont pas humains,
voici une méthode alternative qui se base sur le langage Primordial,
un langage crée par mes soins, aux propriétés particulières
qui vont nous être très utiles.

***

Commençons par l'alphabet.

Je veux faire parler un dragon :
quels gestes peut-il utiliser pour s'exprimer ?

Feuler (FEU),
Cracher (KRA),
Gronder (GRE),
Mâcher (MESH),
Ronronner (LRON),
Siffler (SSI),
Postillonner (PPO),
Battre des ailes (BA),
Montrer les dents (RHHAA), etc.

Mon alphabet prend forme.



*19*

Et pour l'écriture ?

Jetons un coup d'œil à une patte de dragon
et voyons ce que nous pouvons tracer ou graver avec.

Par exemple pour KRA, j'imagine un coup de griffes simple et profond,
donc quatre traits. Pour SSI, un trait courbe en remontant.

SEP = séparateur de mots et de marques grammaticales
FIN = marque indiquant la fin d'une phrase si nécessaire.


*20*

Voyons maintenant comment créer un vocabulaire.

Prenez un mot en français (mais toute autre langue fait l'affaire,
du moment que vous êtes certain de la signification du mot).

Par exemple : « cause ».

Traduisez les en utilisant uniquement l'alphabet suivant,
en ne vous préoccupant que de la prononciation du mot
(et non de son orthographe ou de sa signification, sa classe grammaticale
donc ses terminaisons ou ses marques d'accords etc.).


TABLE DES SONS PRIMORDIAUX

B=P ; D=T ; F=V ; K=G ; H=A ou E ; L=L ;
I=J=Y ; M=M ; N=N ; O=OU=U ; R=R ; S=Z.

Cela donne KOZ. Traduisez ce que vous avez obtenu en idées primordiales,
en utilisant le lexique suivant. Notez que le Primordial se lit de droite à gauche
(le dernier signe prononcé est le plus important).


TABLE RAPIDE DU LANGAGE PRIMORDIAL

B = rare, extraordinaire ;
D = Faire, agir, toi ;
F = feu, vie, éclat, rare
K = pouvoir, force, roi ;
H = il, lui, souffle, parole, bruit;
I = noble, valeureux, spécial;
L = haut, grand ;
M = âme, magie, moi
N = Petite lumière, étoile, espoir ;
O = Cercle, réunion ;
R = dire, rire, art, pensée ;
S = donner, nourriture, don, cadeau ;

Si le son est redoublé,
vous pouvez l'interprêter soit comme = "beaucoup de, très",
soit comme deux fois l'idée.


Une présentation plus détaillée du Primordial
et surtout plus à jour se trouve ici
(lien à venir).

*21*

KOZ traduit en primordial donne « le don de la réunion du pouvoir ».

Revenons maintenant à notre Dragon, et cherchons dans son alphabet
les signes qui représenteraient le mieux ces trois idées.

Je choisis les sons :

KRA pour le pouvoir absolu de détruire,
FEU pour feuler et appeler les autres dragons,
MACH pour la nourriture donc le don, le cadeau.


KOZ me donne donc « KRA-FEU-MACH » , à prononcer
en se pensant comme un dragon, soit « Krrh'feueuh'meush »,
ou pour simplifier : K'feumesh, avec un accent sur la seconde syllabe.


***

On recommencera avec le mot « Anneau » (ANNO),
en créant au besoin les sons et les écritures qui nous manquent.

Je peux à présent former une phrase complète : « Rrannro K'feumesh »,
qui signifiera comme RINKAS TADEN en Finnik (pseudo-finnois) parlé :
« L'anneau en est la cause ». Nous l'écrirons cette fois :

*22*

TECHNIQUE 9 : DEVELOPPER UN UNIVERS


Tout récit crée un univers, ne serait-ce que par les mots
qu'on emploie pour le raconter.

Créer un univers consiste donc à simplement veiller que le récit
emploie d'une part suffisamment de mots pour évoquer un monde entier,
d'autre part que l'univers ainsi évoqué est « vérisimilaire »,
c'est-à-dire qu'on pourrait le prendre pour la réalité,
même en sachant que ce n'est pas la réalité.


Pour évoquer un univers entier, vous pouvez suivre la démarche d'une encyclopédie
ou d'un guide touristique : répondez aux questions que se poserait un parfait étranger à ce monde.
Distinguez bien les croyances (« la terre est plate ») de la réalité de votre univers
(« la terre est creuse »). Archivez efficacement vos notes.


*23*

Tout le prologue du Seigneur des Anneaux est un exemple
de ce travail sur l'évocation d'un univers entier :

(à propos des Hobbits)

« Leurs premiers récits semblent faire allusion à une époque où ils habitaient la vallée supérieure de l'Anduin,
entre les premières ramures de Vertbois le Grand et les Monts de Brumes.
Pourquoi, plus tard, ils entreprirent la dure et périlleuse traversée des montagnes à travers l'Eriador,
ce n'est plus chose certaine. Leurs propres témoignages évoquent la multiplication des Hommes
dans le pays, et une ombre qui tomba sur la forêt, au point qu'elle en devienne obscure,
et que son nom soit changé en Narbois »

Note de traduction : Noir-bois – « Mirk » dans Mirkwood
est aussi et tout simplement la contraction de « Murk »,
et pas seulement une antique référence à un lointain adjectif gothique !

*24*

Tolkien ne se contente pas d'écrire que les Hobbits de la Comté
vivent isolés des Hommes, et c'est comme ça. Il prend note de toutes les explications
à cette situations : d'où viennent les Hobbits, comment ils en sont arrivés là.

Et il en tire une source d'inspiration pour les différentes familles de Hobbits,
la géographie de leur répartition, les noms de lieux, les rumeurs qui court sur le héros etc.

Attention, vous n'êtes pas obligé de tout montrer de vos recherches au lecteur
— et Tolkien ne l'a d'ailleurs pas fait ! Vous ne devez montrer de votre univers
que ce qui compte dans le récit que vous racontez, que ce que votre ou vos narrateurs
peuvent en rapporter, ou éprouve le besoin de rapporter. N'oubliez pas non plus qu'un narrateur
peut être ignorant, mentir, ou se tromper (ou être mal traduit en français...).


*25*


Pour atteindre la vérisimilitude (qui, à la différence de la vraisemblance,
est l'allure de la vérité pour une énonciation que l'on sait fausse,
comme par exemple le récit d'une aventure sur une terre qui n'existe pas),
il faut que les lois physiques et humaines qui animent votre univers imaginaires
soient sinon identiques à celles qui régissent notre réalité, du moins qu'elles soient
cohérentes les unes par rapport aux autres, et qu'elles aient un poids,
une force d'inertie ou d'attraction sur tous les éléments
de votre univers et de votre histoire, sans exception.

Le moyen le plus simple pour obtenir une telle puissance évocatrice
est bien sûr de s'inspirer de la réalité chaque fois que possible .


*26*

Tolkien lui-même décrit essentiellement des situations qu'il a vécues
— le cas échéant par procuration — et ce même quand on croit nager
dans la Fantasy la plus échevelée.

Le confort du terrier de Bilbo est celui le confort d'un cottage anglais,
la saleté et la crasse du Mordor est celle des tranchées
de la première guerre mondiale.

Tolkien peut donc à tout instant tirer de ces situations en fait réelle des réactions
tout à fait logiques de la part de ses héros, et tout à fait convaincantes pour le lecteur.


*27*

S'il y a divergence entre les lois de notre monde et celle de votre nouvel univers
(« un dragon dans le ciel »), cela doit pouvoir s'expliquer et cela doit avoir des conséquences
(« la profession de guetteur, les abris à dragons où l'on se réfugie en cas d'alerte »).

Souvent on retrouvera dans la réalité de notre monde une situation
ayant les mêmes caractéristiques que l'élément fantastique qui nous dérange.
Par exemple, les dragons représentent le même danger que les bombes incendiaires
pleuvant sur une ville durant la Seconde guerre mondiale.

Il sera donc facile de tirer des explications et des conséquences vraisemblables
à un élément invraisemblable
.

*28*

TECHNIQUE 10 : LE RECIT 3D

Tolkien n'imagine pas écrire ses récits sans qu'il ne puisse placer lieux,
peuples et évènements sur une carte. Et lorsqu'il prend soin de tracer chronologies
et arbres généalogiques, il crée instantanément ce que j'appellerai un récit 3D.


***

Un récit 3D est un récit qui peut être lu dans plusieurs directions :
dans l'espace, dans le temps et selon un point de vue d'un personnage.

Le récit 3D est une technique d'écriture basique en matière de jeu de rôles
(le scénario type « une porte, un monstre, un trésor » est un récit 3D),
et relativement périlleuse en matière romanesque.

Le principe en est assez simple : tracez une carte
et placez-y tous les éléments de votre histoire. Ce que vous ne savez pas gribouiller,
vous l'écrirez en toutes lettres. Bien entendu, vous pouvez vous inspirer
de cartes et de plans bien réels, anciens ou modernes.



Prenez également soin de noter la chronologie des évènements
sous la forme d'une chronologie à part, ou de dates sur la carte,
de flèches pour indiquer des mouvements etc. Vous pouvez aussi tracer
plusieurs cartes du même univers à différentes dates.

Notez que pour trouver les noms de lieux en version « originale »
on procède exactement comme les noms de personnages.
Ici c'est encore le dictionnaire de Finnois qui a été mis à contribution.

*29*

Une fois votre carte tracée et abondamment annotée,
il ne vous reste plus qu'une étape : vous déplacer en tant que narrateur
à travers votre univers, votre chronologie et le point de vue de vos personnages .

Pour le Seigneur des Anneaux , les héros partent de la Comté pour le Pays de Bouc,
longent la Rivière du Vinclairet, rencontre des elfes dans le Bout du Bois etc.
En ce qui vous concerne, reprenez une feuille à part et résumez le voyage
de vos héros en numérotant chacune des étapes.

***

Pour mon récit, le premier jour de mon histoire, le vieux roi FALTAFF
meurt empoisonné en son palais de Kolein, la jeune reine ALEA
fuit à bord d'une barque vers Lansein, tandis que le roi félon LOUKAS
lance des assassins sur les routes de Lansein, mais aussi de Lounein et Kakkein.
Entre Lounein et Kakkein, l'un de ces assassins est liquidé par le chevalier dragon déguisé.
A Lansein, ALEA impressionne le preux chevalier IBAN etc.
Je décris à part à quoi ressemblent les pays de Kolein, Lansein etc.,
en leur donnant à chacun un aspect qui leur est propre.

*30*

TECHNIQUE 11 : CLARIFIER
ET CONSOLIDER LES INTRIGUES



A ce stade de la création du récit, vous buterez peut-être
sur les mêmes problèmes d'inspiration qu'a rencontré Tolkien
au milieu de l'écriture de Seigneur des Anneaux.

Un antidote à une éventuelle panne est de remettre à plat
l'arborescence de vos intrigues – principales et secondaires.


***

Une intrigue est une histoire très simple en trois points :

1°) Comment ça commence,
2°) Comment ça finit
3°) Ce qui arrive entre les deux.

Si l'histoire est plus compliquée, c'est qu'elle contient d'autres intrigues,
et il faut les séparer les unes des autres pour mieux s'assurer de leur solidité.


*31*

Reprenez votre feuille où vous avez résumé
le parcours de vos héros à travers la carte.

Pour chacun des éléments rencontrés (décor, action, héros),
reconstituez sur une feuille à part l'intrigue – ou plus probablement les intrigues
auxquelles cet élément participe. Ne vous encombrez pas trop des détails.


En revanche il faut absolument que :

1°) L'intrigue soit simple (pas d'autres intrigues à l'intérieur) ;
2°) L'intrigue soit complète (début, milieu, fin).
3°) Tous ses éléments sont bien replacés
dans l'univers
que vous avez créé, et suivent ses lois.


*32*

Certaines intrigues resteront « ouvertes » (c'est-à-dire sans début ou sans fin),
notamment si vous tenez déjà suffisamment d'intrigues complètes
pour que votre histoire entière tienne debout.

Par contre, plus votre saga sera longue, plus il vous faut d'intrigues complètes .


***

Comment Tolkien s'en est tiré sur La Compagnie de l'Anneau ?

A : L'Anneau est forgé par Sauron
et cherche à revenir à Sauron, il ronge ses porteurs.

A1 : Gollum vole l'anneau à son frère,
fuit sous les monts brumeux, perd l'Anneau.

A2 : Bilbo trouve l'Anneau,
peu à peu consumé par l'Anneau, il quitte la Comté.

A3 : Frodo reçoit l'Anneau, l'amène chez Elrond,
puis vers Mordor, protégé par Sam.

B1 : Gandalf identifie l'Anneau,
l'identifie et organise sa destruction.

B2 : Gollum cherche l'anneau,
informe Sauron et Gandalf, suit et rejoint Frodo pour le voler.

B3 : Elrond forme la Compagnie de l'Anneau
qui suit Frodo, la Compagnie est brisée.

Etc.


*33*

Dans chaque ligne d'intrigue, Tolkien ménage
des développements en accordéon, qui rallonge l'aventure
sans changer le dénouement de ces intrigues.

Ce qui rend possible la coupure de certains de ces développements
dans l'adaptation filmée de Peter Jackson.


***

Comment je m'en tire pour mon récit de Fantasy ?

Je me rends d'abord compte que beaucoup de mes intrigues sont incomplètes.
Je les complète donc au fur et à mesure que je crée cette liste :

A : Loukas empoisonne le roi et devient roi à sa place.

A1 : Ale, sa jeune épouse fuit avec l'épée qui tuera Loukas,
Pour tuer Ale, elle doit récupérer un anneau sacré gardé par un sorcier,
pour le compte de son mari défunt. En attendant, elle se déguise en garçon
et se fait appeler Rakunn (le dragon).

A2 : Lookas envoie ses assassins tuer Ale et récupérer l'épée.
Ceux-ci sont tués respectivement par le chevalier Iban
qui protège Rakunn qu'il prend pour un jeune noble égaré,
par un jeune dragon déguisé en humain qui est confondu
avec Ale déguisé en Rakunn et enfin par Ale elle-même
alors qu'elle va pour récupérer l'anneau.

A3 : Ale entre dans le palais pour assassiner
Lookas avec l'épée de son défunt mari.

B : Iban, un héros à la Beowulf aide Ale
déguisé en Rakunn qui lui ment. Il découvre la vérité.

B1 : Iban rencontre Rakunn et le sauve.
Il veut en faire un chevalier. Elle se sert de lui pour la protéger
jusqu'à ce qu'elle retrouve l'anneau et revienne venger son mari défunt.

B2 : Iban finit par découvrir la supercherie et la vengeance.
Vont-ils faire équipe, voire plus ?

B3 : Iban fait équipe avec le chevalier dragon Rok
déguisé en humain qui poursuit les assassins lancés après Ale.
Rok révèle sa vraie nature pour sauver Iban et Ale. Iban fait le rapport
entre la quête de Rok et une prophétie qui, si elle se réaliserait,
signifie pour lui la fin du monde. Iban attaque donc Rok.

Etc.

*34*

TECHNIQUE 12 : LE RECIT
DANS LE RECIT DANS LE RECIT



Les mythes et les légendes de la Terre du Milieu étant créés de toutes pièces,
comment leur donner le même crédit que le poème épique Beowulf par exemple ?
En lui réservant le même traitement universitaire, d'où par exemple
le prologue sur la civilisation des « hobbits », si indigeste en français,
et si savoureux dans sa version originale.

Tolkien veille cependant à ne pas monter une imposture,
et ne laisse planer aucun doute sur le caractère
purement divertissant et romanesque de son œuvre.


***

La technique du Récit dans le Récit consiste à monter
de toutes pièces un récit imaginaire à propos de l'existence du récit.

Par exemple, raconter comment on a trouvé une bouteille à la mer (ou dans l'espace),
qui contenait le récit qui suit dans le roman (La planète des singes, le roman de Pierre Boule),
ou prétendre que le roman est la reproduction d'un journal intime (Dracula de Bram Stocker)
ou le compte-rendu d'une expédition bien réel (Le Monde Perdu d'Arthur Conan Doyle).

Mais Tolkien ne se contente pas de faire raconter son récit par un auteur présumé.
Il fait également raconter bon nombre de récits par ses personnages,
afin notamment de renseigner ses héros et le lecteur sur son univers :
par exemple ce que signifie une inscription sur un anneau, qui a sculpté une porte,
ce qui s'est passé avant et ailleurs et ainsi de suite.

C'est un procédé typique des contes et légendes.

Frodo restait assis, silencieux et immobile.
La peur semblait étendre une main immense, tel un nuage noir
s'élevant de l'Est et surgissant droit pour l'engouffrer.
« Cet anneau ! », il bégaya :
« Co… comment par le ciel a-t-il pu arriver jusqu'à moi ? »
« Ah ! » fit Gandalf.
« Ceci est une très longue histoire.
Son commencement remonte aux Années Noires,
dont seuls les Maîtres des légendes aujourd'hui se rappellent.
Si je devais te raconter la totalité de ce conte,
nous serions encore assis ici alors que le Printemps se sera changé en Hiver… »

*35*

TECHNIQUE 13 : TRADUIRE
ET DEGRADER UN RECIT



Dès lors qu'un récit est prétendu traduit d'une autre langue
ou rapporté par une succession d'auteurs présumés,
il subit maintes métamorphoses .

Il peut être déformé par une mauvaise traduction,
allongé par des commentaires, censuré, tronçonné ou trahi,
ou encore reconstitué selon les hypothèses, les croyances ou l'imagination
de ceux qui l'ont transmis. A vous de décider de l'histoire du « manuscrit original »
et d'altérer en conséquence le texte qui sera finalement mis à disposition du lecteur.


*36*

Tolkien prétendra être le (très bon) traducteur du Seigneur des Anneaux.
Avec une certaine malice, il dissertera volontiers sur telle origine compliquée
du mot « HOBBIT » — qui ressemble pourtant fortement le mot « RABBIT »
(« Lapin » en anglais, un petit animal aux pieds velus
qui apprécie particulièrement le confort des terriers de la campagne anglaise).

De plus, au moment où lui vient l'idée d'écrire le Hobbit ,
Tolkien vient justement de raconter une histoire de Lapin
à ses enfants, si l'on en croit la biographie de Humphrey Carpenter.

***

QUELQUES TECHNIQUES NARRATIVES
PLUS TRADITIONNELLES


Faute de place, nous ne pouvons que survoler en partie les techniques
plus traditionnelles qu'emploie Tolkien pour raconter son histoire.


*37*

TECHNIQUE 14 — LE TEMOIGNAGE INDIRECT

C'est une technique de description que Tolkien utilise
par exemple dans le premier chapitre, pour présenter Bilbo, puis Frodo.
Un évènement ou un personnage est décrit par ce qu'en disent des témoins,
et non directement via le point de vue des héros, les dialogues
ou le récit du narrateur qui donnerait son point de vue.

*38*

TECHNIQUE 15 — SOUVENIR, SOUVENIR


Une technique narrative particulière au livre univers :
lorsque les héros sont censés avoir vécu des aventures précédentes,
les indices de ces aventures passées se retrouvent dans les décors,
les dialogues, les situations. L'auteur rend alors le lecteur familier
des précédents épisodes complice – mais aussi il peut donner un passé,
donc un réalisme supplémentaire à son récit en utilisant cette technique
sans avoir raconté les aventures précédentes !

*39*

TECHNIQUE 16 — IL ETAIT UNE FOIS

Il s'agit d'un jeu narratif consistant à commencer une histoire pour ne l'achever
que plus loin dans le roman. Par exemple : Frodo demande à Gandalf
de lui raconter l'histoire de l'Anneau, mais Gandalf n'en raconte qu'une partie.
Le lecteur curieux voudra savoir le reste, qui sera racontée plus loin dans le roman.

*40*

TECHNIQUE 17 — L'ANNONCE

À plusieurs reprises dans le roman, Tolkien va annoncer au lecteur
qu'il va arriver quelque chose (par exemple la fête pour l'anniversaire de Bilbo
dans le premier chapitre, ou la destruction de la Comté dans la scène du miroir de Galadriel).
Du coup le lecteur est aiguillé pour tourner les pages et découvrir la suite afin de voir
(ou de ne pas voir) les scènes annoncées en question.

*41*

TECHNIQUE 16 — LE STYLE FEUILLETONNESQUE

Lorsque Tolkien écrit le Hobbit ou le début du Seigneur des Anneaux,
il reste dans l'idée d'un public à tenir en haleine à chaque nouvel épisode.
Chaque chapitre aura donc son Annonce (voir plus haut) puis un Climax,
c'est-à-dire un sommet d'émotion, de tension ou de découverte (curiosité satisfaite, révélations),
et enfin un Cliffhanger (ou Suspension), c'est-à-dire une fin de chapitre qui s'arrête
sans conclure une situation en cours ou donner toutes les réponses
aux questions qui se posent à ce moment de l'histoire.

*42*

TECHNIQUE 17 :
ECRIRE UN POEME, UNE CHANSON

Tolkien fait plus que raconter une histoire : il « chante »
une partie de son récit, et notamment dans les langues imaginaires
qu'il crée. Voyons comment procéder.


Que vous écriviez un poème ou une chanson, ôtez-vous définitivement de la tête
que vous faites un discours comme un autre. Les mots ne sont pas des mots,
mais bien de la musique : vous devez donc les choisir parce qu'ils sonnent « bien »,
et non pas parce qu'ils veulent dire quelque chose.


*43*

Maintenant cela ne veut pas dire qu'une poésie, c'est du n'importe quoi.
A travers ce flot de paroles, vous allez exprimer des idées
— mais d'une manière iconique, et non alphabétique (voir plus haut).
Notez bien qu'un récit entier peut être écrit de cette manière.


Rassemblez les idées qui vous intéressent sous forme de mots épars,
ceux qui vous viennent à l'esprit.

La musique et le yaourt (un langage qui ne veut rien dire
comme par exemple le faux anglais) aident beaucoup. Ajoutez à ces premiers mots
les autres mots qui viennent, et surtout qui sonnent bien (ou mal,
si vous voulez faire un massacre, ça marche aussi).


**44

Par exemple, si je veux créer une prophétie,
je vais commencer par écrire comme ça vient :


Deux dragons, l'un venu du ciel, l'autre sorti de la terre.
Ils s'unissent, pondent un oeuf contient un dragon d'or.
L'oeuf ne s'ouvrira qu'avec un anneau magique.


*45*

Ensuite déversez vos mots dans la structure du poème
que vous souhaitez écrire (aiku, sonnet, chanson, prière etc.).
Ou inventez cette structure : c'est votre univers, après tout, non ?


Dans mon exemple, j'en reste aux idées, car j'ai l'intention
de rédiger mon poème dans la langue des Dragons.


Dragon dans le ciel, dragon dans la terre
Mêler et crier, poussière, lutter, petite mort
Petite vie et longue attente
Jour suivant dragon d'or sortira
L'anneau en sera la cause



*46*

Déplacez et changez vos mots de manière à donner l'apparence
d'un discours
plus ordinaire et presque correct du point de vue grammatical
(sauf si vous visez la confusion ou le surréalisme).


*47*

Les rimes et les sonorités servent à attirer l'attention
du lecteur / auditeur sur certains mots plutôt que d'autres
– comme des coups de projecteurs ou de surligneur.

Notez bien que ce rapprochement entre mots qui riment
peut aller jusqu'à composer un autre poème, caché dans le premier poème.


*48*

Par exemple : je m'imagine un ordre des mots respectueux
de la grammaire Drakonik :

Ciel contient dragon, terre contient dragon
Poussière contient Mêler crier, Eau contient lutter et petit mourir
Longue attente contient petite vie
Jour suivant contient or contient dragon sortir
Anneau contient cause

*49*

Et en avant pour la création du vocabulaire correspondant à ces idées.

Pour la version originale DRAKONIK, j'utilise le Primordial :

Ciel = SIHEL = don, noble, tout, haut = MES-PPO-HHH ! ;
Contenir = MES (le mot qui précède contient le mot qui suit) ;
Dragon = KRA ! ;
Terre = THR ;
Faire, tout, dire = SSI-HHH-LRN etc.

*50*

Ensuite il n'y a plus qu'à traduire mon poème,
d'abord en langage parlé, puis ensuite dans le système d'écriture
que j'aurai choisi.

En Drakonik parlé cela donne :

MES-PPO-HHH ! / MES / KRA ! / SSI-HHH-LRN / MES / KRA !
— MES-HAA-HHH ! / MES / GRO-HHH ! / KRA-LRN-PPO-SSI
(noter que le point d'exclamation est un battement d'ailes,
qu'un humain simulera par un clap des mains).

En Finnik parlé cela donne :

RAKUUNA ILMANALA-SAA, RAKUUNA MAA-SAA
— SEKO-TA DJA, HUUT-TA DJA HIEKKA-SAA.


*51*

LE SEIGNEUR DES ANNEAUX :
1. LA COMPAGNIE DE L'ANNEAU


Ash nazg durbatulûk, ash nazg gimbatul,
Ash nazg thrakatulûk, agh burzum-ishi krimpatul

(Un anneau régner eux tous, un anneau trouver eux tous)
(Un anneau porter eux tous, et obscurité lier eux)

Un anneau pour (tous) les diriger, un anneau pour (tous) les retrouver
Un anneau pour (tous) les emporter, et dans le noir, les enchaîner.

One Ring to rule them all, One Ring to find them
One Ring to bring them all and in the darkness bind them.

*52*

LE CHANT DU DRAGON
(Version DRAKONIK)

Mespoh' ! / ro / mes / feu-rrr / kra ! / kra / ssi
Rha-N-ro / mes / kra-feu-mes

(jour) (suivant) (contient) (or) (contient) (dragon) (sortir) (action de)
(anneau) (contient) (cause)

Le jour suivant verra l'or du dragon sortir
L'anneau en est la cause

*53*

LE CHANT DU DRAGON
(Version FINNIK)

PAIVA-SE RAKUUNA KULTA-IN SYLKE-TA
TADEN RINKA-IN

(jour) (suivant) (dragon) (or) (fait de) (cracher) (action de)
(cause) (anneau) (fait de)

Le jour suivant le dragon d'or crachera
La cause est un anneau.


PAGE EN COURS DE REDACTION

 

FIN