L'ACTUALITE

FIREFLY

JUMPER

CHAPITRE UN

 

La première fois arriva comme ça.

J'étais en train de lire quand Papa est rentré à la maison. Sa voix résonnait à travers la maison et je me suis crispé.

« Davy ! »

J'ai posé le livre et je me suis assis sur le lit. « Ici, Papa. Je suis dans ma chambre. »

Ses pas sur le parquet de chêne du couloir allèrent de plus en plus fort. Je sentis ma tête se courber entre mes épaules, puis mon père fut à la porte, en rage.

« Je pensais que je t'avais dit de tondre le gazon aujourd'hui ! » Il entra dans la chambre et se planta devant moi. « Alors ! Réponds quand je te pose une question ! »

« J'allais le faire, Papa. J'étais juste en train de finir un bouquin. »

« Tu es rentré de l'école depuis plus de deux heures ! Je suis écoeuré et fatigué de te voir dans cette maison couché à ne rien faire ! ». Il se pencha tout près et le whisky dans son haleine me fit monter les larmes aux yeux. Je reculais et il m'attrapa par la peau du cou avec les doigts comme un étau. Il me secoua. « T'es rien qu'un sale gamin paresseux. Je vais te rentrer l'envie de travailler à coup de trique, même si je dois te tuer pour que tu bosses ! »

Il me releva, tout en continuant d'agripper mon cou. Avec son autre main, il défit maladroitement la boucle ornementée de sa ceinture de cow-boy, puis il fit jaillir l'épais serpent de cuir aux motifs western hors des passants de son pantalon.

« Non, Papa. Je vais tondre le gazon de suite. J'le jure !  »

« La ferme, » il répondit. Il me jeta contre le mur. J'avais à peine eu le temps de mettre mes mains pour empêcher mon visage de frapper, nez en premier, en plein dans le plâtre. Il changea de main alors, me maintenant contre le mur avec la gauche, tandis qu'il empoignait la ceinture de sa main droite.

Je tournais un peu la tête, pour empêcher mon nez de frotter contre le mur, et je le vis changer sa prise sur la ceinture, de manière à ce que la grosse boucle en argent se retrouve au bout, loin de sa main.

Je criais : « Pas la boucle, Papa ! Tu avais promis  ! »

Il enfonça plus fort mon visage dans le mur. « La FERME ! Je ne t'ai pas frappé assez fort la dernière fois ! ». Il déplia son bras jusqu'à ce qu'il me tienne à bout de bras et fit lentement balancer la ceinture. Puis son bras partit en avant et la ceinture siffla dans les airs et mon corps me trahit, se dérobant sous l'impact et…

J'étais adossé contre des étagères pleines de livres, mon cou libre de la poigne écrasante de mon père, mon corps encore tendu pour encaisser le coup. Je regardais autour de moi, en haletant, mon cœur encore frénétique. Il n'y avait aucun signe de Papa, mais cela ne me surprit pas.

J'étais au rayon des romans de la Bibliothèque Municipale de Stanville, et, alors que moi je connais l'endroit aussi bien que ma propre chambre, je doutais que mon père ait jamais mis les pieds dans le bâtiment.

C'était la première fois.

 

La seconde fois arriva comme ça.

Le relais des camionneurs était neuf et animé, une île de lumière éblouissante et de béton brut dans la nuit. Je passais les portes de verre du restaurant et je montais sur une chaise du comptoir, prêt de la partie où le panneau disait « Chauffeurs seulement ». L'horloge murale indiquait onze heures trente. Je plaçais mon barda roulé par terre sous mes pieds et j'essayais d'avoir l'air plus âgé.

La serveuse entre deux âges à l'autre bout du comptoir avait l'air dubitative mais elle posa un menu et un verre d'eau, puis demanda : « Du café ? »

« Du thé chaud, s'il vous plait. »

Elle sourit mécaniquement et s'en alla.

La partie réservée aux chauffeurs était à moitié pleine, avec un brouillard épais de fumée de tabac au-dessus. Aucun d'entre eux n'avait l'air d'être du genre à me faire plaisir, et encore moins à me prendre en autostop.

La serveuse revint avec une tasse, un sachet de thé, et l'un de ces petits pichets en métal remplit avec de l'eau pas très chaude. « Qu'est-ce que je vous sers ?, elle demanda.

“Je vais faire avec ça pour l'instant. »

Elle me regarda droit dans les yeux pendant un moment, puis elle fit l'addition et la posa sur le comptoir. « Le caissier encaissera quand vous serez prêt. Si vous avez besoin d'autre chose, faut juste me le dire. »

Je ne savais pas comment garder le clapet ouvert pendant que je versais l'eau, alors un tiers finit sur le comptoir. Je l'essuyais avec les serviettes en papier du distributeur et je m'efforçais de ne pas pleurer.

« T'es sur la route depuis longtemps, fiston ? »

Je relevais vivement la tête. Un homme, assis sur le dernier tabouret de la partie des chauffeurs, me regardait. Il était costaud, à la fois grand et gros, avec un bourrelet de chair là où son col de chemise s'ouvrait. Il souriait et je pouvais voir que ses dents étaient irrégulières et tâchées.

« Que voulez-vous dire ? »

Il haussa les épaules. « Sont tes affaires. On ne dirait pas que t'es en vadrouille depuis longtemps. » Sa voix était plus aigue que ce à quoi on se serait attendu pour un home de cette taille, mais douce.

Je regardais par-dessus son épaule en direction de la porte. « Environ deux semaines. »

Il hocha la tête. « Dur. C'est à cause de tes parents ?  »

« Mon père. Ma mère s'est barré depuis longtemps. »

Il poussa sa petite cuillère en rond sur le comptoir du bout du doigt. Ses ongles étaient longs, avec de la graisse incrustée dessous. « T'as quel âge, fiston ? »

« Dix-sept. »

Il me regarda et haussa les sourcils. Je haussais les épaules. « Je me fiche de ce que vous pensez. C'est vrai. J'ai eu mes fichus dix-sept ans hier.  » Les larmes commencèrent à couler et je clignais des yeux fort, pour les retenir.

« Qu'est-ce que tu fais depuis que tu es parti de chez toi ? »

Le thé était devenu aussi sombre qu'il le devait. Je retirais le sac et versait des cuillerées de sucre dans la tasse. « J'ai fais du stop, un peu fais la manche, fais des boulots bizarres. Les deux jours derniers, j'ai ramassé des pommes – 25 centimes le panier et tout ce que je voulais manger. J'ai aussi récupéré des vêtements là-bas.

“Deux semaines et tes vêtements ne te suffisent déjà plus ?  »

Je m'étranglais au milieu du thé. « J'ai juste emporté ce que je portais. » Tout ce que je portais en sortant de la Bibliothèque Municipale de Stanville.

« Oh. Hé bien, mon nom c'est Topper. Topper Robbins. C'est quoi le tiens ?  »

Je le fixais des yeux. « Davy, » je répondis enfin.

« Davy… ? »

« Seulement Davy. »

Il sourit à nouveau. « Je comprends. Pas besoin de me faire un dessin. »

Il ramassa sa petite cuillère et mélangea son café. « Hé bien, Davy, je conduis ce camion citerne PetroChem là-bas et je partirais vers l'Est dans à peu près quarante cinq minutes. Si tu vas dans cette direction, je serai heureux de t'offrir le voyage. On dirait que tu pourrais quand même avoir besoin de manger. Pourquoi ne pas me laisser t'offrir un repas ? »

Les larmes revinrent à ce moment-là. Je m'étais préparé à la cruauté mais pas à la gentillesse. Je clignais fort des yeux et je répondis : « D'accord. Ça me ferait plaisir un repas et le voyage. »

Une heure plus tard, j'étais parti pour l'Est, assis à la place du passager du camion de Topper, en train de m'assoupir à cause de la chaleur de la cabine et de mon estomac plein. Je fermais les yeux et fis semblant de dormir, fatigué que j'étais de parler. Topper essaya encore de parler un peu après ça, mais il s'arrêta. Je le regardais à travers mes yeux mi-clos. Il n'arrêtait pas de tourner la tête pour me regarder à chaque fois que les lumières des voitures qui arrivaient illuminait l'intérieur de l'habitacle. Je pensais que j'aurais dû me sentir reconnaissant, mais il me flanquait la frousse.

Après un moment, je sombrais dans le sommeil pour de vrai. Je me réveillais en sursaut, sans être certain de l'endroit ou j'étais ou même de qui j'étais. Il y avait comme une secousse qui traversait mon esprit, une réaction à un mauvais rêve, presque déjà oublié. Je rabaissais à nouveau mes paupières, et mon identité ainsi que tous les souvenirs associés me revinrent.

Topper parlait à la CB.

« Je vous retrouve juste après chez Sam, » il était en train de dire. « Quinze minutes. »

« Dix sur quatre, Topper. On arrive. »

Topper raccrocha.

Je baillais et me redressais. “La vache. J'ai dormi longtemps ?”

« A peu près une heure, Davy. » Il souriait comme si c'était une blague. Il éteignit sa CB et alluma la radio sur une station de Country et Cow-Boys.

Je hais la Country et les Cow-Boys.

Dix minutes plus tard, il prit une sortie vers une route de terre éloignée de tout.

« Vous pouvez me déposer ici, Topper. »

« Je continue, fiston, faut que je rencontre un gars d'abord. Tu veux pas faire du stop de nuit. Personne s'arrêtera. En plus, on dirait qu'il va pleuvoir. »

Il avait raison. La lune avait disparu derrière un voile épais et le vent balayait les arbres environnants.

« D'accord. »

Il tourna deux fois dans deux allées à travers la campagne, puis quitta la route à la hauteur d'une station service avec deux pompes à essence en devanture. La boutique avait l'air éteinte, mais il y avait un terrain de gravier loin derrière où deux camionnettes étaient garées. Topper gara son camion à côté.

« Allez, fiston. Je te presenter à des gars.”

Je ne bougeais pas. « ça va. Je vous attends ici.”

“Désolé, il répondit. C'est pas dans le règlement de prendre des autostoppeurs, mais mes fesses prendraient vraiment cher si je te laissais ici et que quelque chose arrivait. Sois correct. »

Je hochais la tête, lentement. « Bien sûr. Je veux pas causer de problème. »

Il souria à nouveau, largement. « Aucun problème. »

Je frissonnais.

Pour descendre, il fallait que je me retourne pour faire face à la carrosserie et ensuite chercher du pied la marche. Une main guida mon pied et je me figeais. Je regardais en bas. Trois hommes se tenaient de mon côté du camion. Je pouvais entendre le gravier grincer tandis que Topper faisait le tour de l'habitacle. Je le regardais. Il défaisait la ceinture de ses jeans et baissait la braguette.

 

 

Traduction David Sicé

Tous droits réservés Steven Charles Gould,

 

 

 

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