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LES EXTRAITS DES RECITS DE LA SF

Tous droits réservés : texte David Sicé, illustrations : leurs auteurs.

 

LES CONQUERANTS... : 01

DESTINATION URUAPAN

Philippe EBLY

CHAPITRE SEPT

ILS marchaient depuis une heure quand ils arrivèrent à un carrefour dont le vieil homme avait donné un signalement précis. A bonne distance de ce carrefour, ils virent que quelqu'un y était assis ou accroupi, au pied d'un arbre. A mesure qu'ils s'approchaient, le personnage se précisa. C'était un garçon d'une quinzaine d'années. Quand ils furent tout près de lui, Marc reconnut le jeune Indien dont le visage l'avait frappé, une heure plus tôt.

« C'est un gars du village d'où on vient... » dit-il aux deux autres.

Avec un demi-sourire, le garçon les avait regardés tranquillement s'approcher de lui. Quand ils furent à deux ou trois mètres, il indiqua le sentier de gauche et dit simplement :

« Opodepe. »

Serge resta d'abord ahuri.

« Non, ce n'est pas possible, dit-il à ses deux compagnons. Le vieux m'a dit que c'était à droite. Ça ne va pas... »

Il avait parlé français, et l'Indien n'avait pu le comprendre, mais il avait cependant deviné qu'on ne le croyait pas. Il renouvela son geste vers la gauche et répéta calmement :

« Opodepe.

— Tu es sûr d'avoir bien compris ? demanda Raoul à Serge.

— Tu parles, que je suis sûr! affirma Serge avec force. Le vieux a bien dit à droite... A la derecha...»

Cette fois, le jeune Indien avait compris les trois derniers mots, et il dit, en articulant nettement, mais avec le même accent étrange que le vieil homme :

« Opodepe està a la izquierda.

— Keskidi ? demanda Marc.

— Il dit que c'est à gauche, traduisit Serge. C'est une histoire de fous. J'étais sûr d'avoir bien compris, et maintenant je perds les pédales...

— Faut discuter avec lui... » suggéra Raoul.

Serge fut sur le point de répondre : « Ça, c'est facile à dire. Ce n'est pas toi qui devras discuter... » Il ne le dit pas, mais il le pensa très fort et secoua la tête plusieurs fois, à la manière d'un jeune chien qui s'ébroue. Puis il entama une conversation labo-rieuse, en espagnol approximatif. Cela dura long-temps, puis Serge parut rassuré et finalement, se tourna vers Raoul et Marc.

« Ça va, dit-il, je comprends mieux. En réalité, le vieux voulait dire que c'était dangereux de prendre à droite... Et pour Opodepe, c'est à gauche.

— Du danger à droite ? dit Raoul d'un ton sceptique.

— Oui, affirma Serge. Là, je suis sûr du mot... » Il se tourna vers le jeune Indien et lui demanda simplement :

« Peligro? »

Puis il ne desserra plus les dents. Son prénom était donc très rare, et il n'aimait pas qu'on lui en parle. Serge n'avait pas pu ne pas voir ce changement d'attitude, et il comprit qu'il avait abordé un sujet interdit.

Ils continuèrent à marcher jusqu'au soir. Xolotl semblait connaître parfaitement la forêt et s'orientait sans hésitation. Au crépuscule, il s'arrêta dans une clairière et proposa d'y passer la nuit. Il rassembla du bois mort pour allumer un feu. Serge vit qu'il avait un briquet à amadou, très simple, et un couteau solide, à large lame. Il était adroit, et très habitué à se débrouiller seul. En le regardant préparer son feu, Serge eut l'impression que leurs ennuis étaient pratiquement terminés. Ce sentiment de sécurité se renforça quand il le vit ouvrir le mystérieux paquet que formait son sarape.

« Non ! Pas possible...

— Sensass! » admira Marc.

Seul, Raoul ne dit rien, mais il n'était pas le moins étonné des trois. Des provisions en abondance...

« Il y a à manger pour deux jours, là-dedans », dit Xolotl.

Serge le regarda avec inquiétude.

« Deux jours? dit-il. Opodepe est à quelle distance? »

Xolotl eut un geste vague.

« Deux jours. Peut-être trois...

— Mais, objecta Serge, le vieux avait parlé d'un jour de voyage? »

Alors, Xolotl rit franchement, et expliqua qu'on disait toujours cela aux voyageurs pour éviter de les effrayer. La vérité, c'était deux jours.

« Plutôt trois que deux... », poursuivit-il après un bref silence.

Serge traduisit cette information à Raoul et Marc. « On dirait que c'est difficile de savoir où est cette ville, observa Raoul, méfiant.

— Il n'y a pas de problème, dit Marc. On voit qu'il connaît la forêt. Il a sûrement déjà fait le voyage.

— Je n'en suis pas si sûr que ça, dit Raoul, demande-lui s'il a déjà été à Opodepe, veux-tu, Serge? »

Serge posa la question.

« Nunca, répondit tranquillement Xolotl.

Jamais », traduisit Serge.

Raoul échangea avec Marc un regard qui signifiait clairement : « Qu'est-ce que je t'avais dit? » Il y eut un silence gêné, puis Xolotl expliqua qu'on lui avait bien décrit la route à suivre, et qu'il était certain de ne pas se tromper.

« Bah ! dit Serge. Il n'y a pas de raison que ça n'aille pas... »

A la nuit tombante, le problème des couvertures se posa.

« Bon, dit Raoul. Nous n'avons qu'un seul sarape pour trois. Normalement, un sarape ça fait une couverture pour un seul, et pas pour trois. Faut qu'on trouve une solution... »

Xolotl intervint à ce moment. Il montra qu'il était facile de dormir à deux dans un sarape, proposa que les deux frères gardent celui qu'ils avaient acheté, et offrit à Serge de partager le sien. Serge eut une brève hésitation. Il aurait préféré autre chose, mais il comprit que c'était la meilleure solution, et il accepta.

Il ne le regretta pas. Ce fut la première nuit où il eut vraiment chaud. Le lendemain, il se sentait bien reposé et en pleine forme.

« C'est fantastique, dit Serge en s'étirant comme un chat. Ça fait du bien, deux bons repas en une journée et une bonne nuit... »

Ils reprirent leur marche et sortirent de la forêt vers midi, pour entrer dans des hautes herbes où Xolotl continuait à trouver son chemin avec la même facilité. Serge admira plus d'une fois son aisance à s'orienter.

« Il est vraiment sensass, dit-il à Raoul. Il trouve des repères où je n'en vois pas, et il n'hésite jamais. Heureusement que nous l'avons... »

Raoul approuva, mais il avait l'air soucieux.

« Ça ne va pas? demanda Serge.

— Si, ça va. J'espère simplement qu'il nous guidera jusqu'au bout... Je veux dire : jusqu'à Opodepe... » Serge regarda Raoul sans comprendre.

« Réfléchis un peu, dit Raoul. Nous avons des pro-visions pour quatre pendant deux jours. Ça nous mènera jusqu'à Opodepe, d'accord. A ce moment-là, il nous quittera. Bon. Et qu'est-ce qu'il mangera, lui, pendant son voyage de retour ? »

Serge comprit que Raoul avait raison. Logiquement, Xolotl devait les quitter à mi-chemin, c'est-à-dire avant la fin du jour.

Le soir, cependant, Xolotl n'avait pas encore parlé de séparation. Serge lui posa la question pendant le repas.

« Je vais jusqu'à Opodepe avec vous, répondit Xolotl.

— D'accord, dit Serge. Mais ça te fera un long voyage, quand tu rentreras chez toi? »

Avant de répondre, Xolotl hésita longtemps. Il achevait de sucer un os de poulet, et il le faisait très lentement, comme s'il voulait se donner le temps de réfléchir, ou escamoter sa réponse. Finalement, Serge répéta sa question.

« Je ne rentrerai pas », fit Xolotl.

Serge crut avoir mal compris, et resta muet.

« Je ne peux pas rentrer », dit encore Xolotl. Non. Serge avait bien compris.

« Pourquoi? » demanda-t-il.

Xolotl montra les provisions qui restaient dans son sarape.

« Tout ça, expliqua-t-il, on ne me l'a pas donné. Je l'ai volé pour partir avec vous... Je ne peux pas rentrer après ça. Je n'oserais pas... »

 

Tous droits réservés Philippe EBLY